9

 

Qu’allait-il se passer maintenant ?

Il s’était assis dans l’un des confortables fauteuils. Il attendait que la jeune femme le rejoigne d’un moment à l’autre. Mais même lorsqu’elle serait là, la question se poserait tout de même.

« Où tout cela va-t-il nous mener ? »

Gosseyn Trois prit conscience du bruit de sa respiration. Il s’agitait nerveusement et, plusieurs fois, ses vêtements frottèrent contre le doux et luxueux capitonnage. En dehors de cela… un silence de mort.

Cette salle de réception n’était que beauté et luxe. On sentait que cet appartement avait été décoré et meublé pour combler les exigences de personnes habituées à jouir d’une fortune colossale.

Mais cela ne faisait qu’accentuer le sentiment qu’il avait d’être un intrus, ignorant de son environnement.

« C’est vraiment ridicule… » pensa-t-il.

L’un des événements les plus importants de l’histoire des deux galaxies venait de tirer ce navire de guerre géant d’un autre univers-île pour l’amener ici, dans cette région de la Voie Lactée. Et cela s’était accompli à la vitesse d’une similarisation à vingt décimales.

Il lui était impossible d’en analyser immédiatement les conséquences. Il savait seulement qu’elles devaient être nombreuses. Il fallait que la signification colossale de cet avatar de l’espace-temps soit étudiée et comprise scientifiquement.

… Et il aurait aimé avoir la certitude que des hommes comme Breemeg et le Draydart, des représentants d’un peuple militaire, ne se contenteraient pas d’attendre et passeraient à l’action, quelle qu’elle soit.

Quelque chose était sûrement en train de se produire dans ce vaste vaisseau. Des esprits pénétrants devaient, en ce moment même, se demander comment se déroulait l’entretien entre un étranger appelé Gilbert Gosseyn d’une part, et l’empereur et sa mère, de l’autre.

Et d’ici peu de temps, quelqu’un allait venir voir ce qui se passait.

À cette idée, d’une équipe d’investigateurs envahissant les lieux, Gosseyn se dit que les restrictions qu’il s’était imposées dans la salle du trône n’avaient plus de raison d’être, ici. « L’offre personnelle que m’a faite cette jeune femme m’oblige, en cas de conflit, à revenir ici pour les secourir, elle et son enfant. »

Aussi se leva-t-il en hâte. Rapidement, il choisit une portion du sol, dans un coin, derrière des tentures tirées. Il accomplit, à l’aide de son cerveau second, la photographie mentale qui lui permettrait de revenir instantanément par une similarisation à vingt décimales.

Quelques instants plus tard, lorsqu’il fut réinstallé dans son fauteuil, il s’aperçut que son alter ego manifestait une certaine activité mentale.

— J’ai dit aux autres ce que tu viens de faire (ce message en provenance de Gosseyn Deux, comme ceux reçus auparavant, ne différait en rien de ses pensées), et ils pensent qu’ils vont se joindre à toi en me laissant la responsabilité de ce qui se passe ici.

Dans cette transmission, la partie non explicitée, « ce que tu viens de faire », était typique du processus mental qui s’opérait entre les deux esprits. Elle se référait à la photographie que son cerveau second venait de prendre d’une portion du sol.

— Tu veux dire… tout de suite ? demanda mentalement Gosseyn.

— Aussi, poursuivit le cerveau de Gosseyn Deux, voyons si à nous deux nous ne pouvons pas utiliser l’endroit où tu es, en ce moment, dans cette pièce, pour les transmettre à côté de toi, comme tu as transporté le corps du jeune empereur dans la capsule spatiale. D’abord, Eldred Crang…

La mention de sa transmission du corps du petit garçon éveilla en lui le souvenir fugitif d’autres lieux photographiés, loin d’ici… toujours utilisables ? se demanda-t-il.

Il entendit un bruit derrière lui, un peu sur sa gauche. Puis Gosseyn Deux pensa :

— Maintenant… Leej.

Gosseyn Trois se retourna. Il vit et reconnut tout de suite, grâce à la mémoire de son double, Eldred Crang qui sortait rapidement de derrière les tentures. Et, au même moment, Leej apparut, issue de nulle part. Elle s’écarta à la hâte pour laisser la place à Enro qui fit de même pour les Prescott, que suivit, pour finir, Patricia Hardie Crang.

— Mais, objecta mentalement Gosseyn Trois, un peu tardivement, ne penses-tu pas que nous devrions d’abord…

Il s’arrêta. L’idée lui vint qu’une différence commençait à se profiler entre Gosseyn Deux et lui-même. Son alter ego et lui étaient en deux lieux dissemblables, ils avaient donc des problèmes différents. Les soucis de l’un des Gosseyn ne se communiquaient pas à l’autre avec la totalité de leur impact.

La conséquence en était fort intéressante. « Sur le plan de l’expérience, nous divergeons à chaque instant. Bientôt, nous ne serons plus le double l’un de l’autre… »

Pas le temps de penser à cela maintenant. Il y avait trop de choses à faire. Gosseyn s’empressa de dire aux nouveaux arrivants :

— La mère de l’empereur sera ici d’un moment à l’autre. Je vous en prie, entrez là…

Il leur montra un renfoncement avec une porte, qu’il avait remarqué plus tôt ; il n’avait aucune idée de l’endroit sur lequel il donnait. Il conclut :

— Laissez-moi le temps d’expliquer à cette dame ce qui…

Tout se déroula très rapidement. Même le tout-puissant Enro, souverain du Plus Grand Empire, après avoir échangé avec sa sœur un mot ou deux dans leur propre langue, sourit cyniquement et suivit les autres hors du champ de vision de Gosseyn.

Si quelques secondes s’écoulèrent après qu’ils eurent disparu, Gosseyn Trois ne sentit pas le temps passer. Il lui sembla que les nouveaux arrivants étaient en train de quitter la pièce lorsque, derrière lui, il entendit un déclic.

Il se retourna, la porte de la chambre s’ouvrit et la mère de l’empereur entra.

Il comprit pourquoi elle avait tardé à le rejoindre. Elle portait une robe transparente qui produisait, autour de sa silhouette, un effet de flou bleuâtre. Avant que Gosseyn Trois ait pu vraiment examiner ce nouveau vêtement, la jeune femme dit :

— J’ai appelé Breemeg. Il va vous ramener à votre palomar.

Il était temps non de lui dire la vérité, mais de la préparer à l’affronter.

— Madame, dit-il, comme on vous l’a sûrement dit, en me réveillant je me suis trouvé en communication mentale avec quelqu’un qui me ressemble en tout point et qui se trouve à peu près à dix-huit mille années-lumière d’ici.

Elle hocha la tête. Ses manières et son expression étaient graves lorsqu’elle dit, avec un petit froncement de sourcils :

— Tout ce qui vient de se passer est fort étrange, y compris votre arrivée.

— C’est une longue histoire, poursuivit Gosseyn. Mais vous n’avez rien à craindre de tout cela. Cependant, cette communication s’est établie avec mon alter ego alors qu’il était en compagnie de plusieurs personnages importants… importants dans cette zone de l’espace ; et ils aimeraient venir s’entretenir avec vous ainsi qu’avec votre personnel militaire et scientifique.

— Je suis sûre que c’est possible, répondit-elle. Nous nous sentons très isolés, ici. Un grand navire, cent soixante-dix-huit mille hommes, un petit garçon et une femme.

Elle ajouta, avec inquiétude :

— Il se pourrait qu’à bord de ce navire de guerre, certains des esprits les plus hardis décident que les anciennes lois et les tout aussi anciennes fidélités ne sont plus de mise ici. Dites-moi, que feraient exactement vos associés, dans une telle éventualité ?

C’était le moment… ou jamais. L’homme s’arma de courage.

— Votre permission a été mentalement retransmise, et votre autorité reconnue… les voilà.

D’un geste, il désigna la niche. Bien que cela l’ait amené à dire un mensonge, il avait eu raison de la préparer un peu. Car ses yeux s’agrandirent tout de même et elle recula d’un pas, mais d’un seul. Ce qu’il avait dit dut la rassurer, parce qu’elle demeura immobile et silencieuse tandis que les deux femmes et les quatre hommes pénétraient dans la pièce.

Le choc n’avait pas été complètement amorti car elle chuchota :

— Dix-huit mille années-lumière ! En une seconde !

— Votre vaisseau est bien arrivé ici, fit remarquer Gosseyn. En provenance d’une galaxie encore bien plus lointaine. Et aussi en une seconde !

Pendant ce dialogue, il se fit la remarque que cette robe vaporeuse était exactement ce qu’il fallait porter pour plaire à un homme qui se souvenait des femmes de la Terre.

— Vous êtes très belle. Tout se passera bien, lui dit-il avec douceur.

Mais il pensait aussi à ce que cette femme venait de dire… « un grand navire, cent soixante-dix-huit mille hommes… »

Voix Quatre avait utilisé le même chiffre pour brosser un tableau plus spectaculaire : cent soixante-dix-huit mille navires de guerre ! Les commandements civil et militaire de ce gigantesque vaisseau avaient dû s’entendre rapidement pour le faire passer des effectifs au nombre d’éléments de la flotte : ils avaient certainement supposé que l’alter ego avec lequel il était en communication serait impressionné. Il faudrait du temps pour rassembler des forces militaires capables de défendre la Voie Lactée contre autant d’envahisseurs. Voilà quel avait été sûrement leur raisonnement, mais ils ignoraient l’existence d’Enro et de sa colossale flotte spatiale de guerre, si rapide.

La reine mère venait, sans le savoir, de révéler la vérité.

En fait, cet immense navire était un événement bien assez marquant à lui tout seul : un vaisseau dont l’équipage s’élevait à cent soixante-dix-huit mille hommes.

C’était fantastique !

La fin du Non-A
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